Court essai – Cours Droit et technologie de l’information (04-16)
Le mois passé, la compagnie Apple a été condamnée à payer 450 millions de dollars pour une affaire d’entente sur le prix des livres électroniques, après que la Cour suprême des États-Unis ait refusé d’examiner son appel en 2015. Cette condamnation fait suite à une décision datant de 2013, par un juge de New York, car Apple avait encouragé un effort collectif de grandes maisons d’édition, soit le Groupe Hachette Livre, les éditions HarperCollins, les éditions Holtzbrinck LLC (Macmillan), le Groupe Penguin et Simon & Schuster, afin de restreindre la concurrence par les prix, pour les livres électroniques. Selon la poursuite, disponible sur le site du Wall Street Journal, l’entente conclue avant l’arrivée de l’iPad en 2010, entre Apple et les éditeurs, permettait aux éditeurs de choisir le prix de vente de leurs livres, à condition de remettre 30 % du montant à Apple. Les éditeurs auraient alors demandé à l’entreprise Amazon de signer ce « contrat d’agence », proposé par Apple, sinon ils retiraient leurs livres de ce distributeur.
Cette entente avait comme principal objectif de limiter la capacité d’Amazon à vendre les livres électroniques à bas prix, alors que ce principal distributeur offrait ses nouveautés et ses meilleurs vendeurs à un prix fixe de seulement 9,99 $, afin de favoriser la vente de ses liseuses électroniques Kindle. Dans certains cas, les livres étaient vendus en bas du prix coûtant et cette stratégie n’était pas appréciée des éditeurs qui craignaient qu’elle habitue les clients à des bas prix, qu’elle compromette l’attrait de titres plus chers et qu’elle nuise aux librairies traditionnelles.
En Europe, les autorités antitrust se sont penchées également sur ce dossier de livres électroniques avec Apple. Au Canada, le Bureau de la concurrence a refusé d’indiquer s’il a reçu des plaintes à ce sujet, ni s’il se penchait sur ce dossier d’une manière ou d’une autre, expliquant que « la loi oblige le Bureau à mener ses enquêtes de façon confidentielle ».
Le marché des livres électroniques
Selon l’Association des éditeurs américains, qui recueille des données de près de 1200 éditeurs, les livres électroniques ont représenté un marché de 970 millions de dollars en 2011, en hausse de presque 100 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation était associée à l’engouement pour les nouveaux appareils électroniques compacts qui sont arrivés sur le marché à cette période. Ce phénomène a naturellement contribué à insécuriser les éditeurs de livres en papier. Par la suite, les ventes de livres électroniques ont connu une stabilité durant quelques années, pour ensuite commencer à diminuer. Aux États-Unis, en 2014, les livres électroniques représentaient environ 20 % du marché. En 2015, ce marché a connu une baisse de 10 %. Au Canada, en 2015, selon l’agence Booknet Canada, seulement 18 % des ventes dans l’industrie du livre étaient reliées aux livres électroniques.
Loi sur la concurrence au Canada
Tel qu’indiqué à l’article 1.1, la Loi sur la concurrence au Canada, favorise la concurrence pour « stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, pour améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux, tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, pour donner à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, et pour assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits ». Le non-respect des prix compétitifs fut alors, une des raisons du recours contre Apple, car la coalition avec les éditeurs avait pour principal objectif d’empêcher Amazon d’offrir des prix plus bas. Il s’agit d’un « abus de position dominante » et tel que spécifié à l’article 79, de la Loi sur la concurrence, il peut y avoir une ordonnance d’interdiction lorsque notamment, « des personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anticoncurrentiels » et « la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché ».
De plus, l’article 45 (1) prévoit une pénalité pour une infraction reliée à un complot, un accord ou un arrangement entre concurrents, notamment pour « fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture d’un produit », et c’est exactement ce type d’arrangement qu’Apple a fait avec les éditeurs.
Au Québec, il existe une autre protection légale pour les éditeurs de livres, soit la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre (Loi 51). Selon M. Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), cette loi « peut protéger en quelque sorte contre une posture de collusion, en infraction avec la Loi fédérale sur la concurrence ». L’article 5, de cette loi, indique notamment que « toute personne qui fait la distribution de livres au Québec doit, aux fins de calcul de leur prix de vente, se conformer aux remises et tabelles déterminées par règlement du gouvernement ». Les sanctions pour violation des lois sur la concurrence au Canada ont toujours été beaucoup moins sévères qu’aux États-Unis. Au Canada, les pénalités d’emprisonnement sont rarement imposées pour un comportement anticoncurrentiel. La disposition sur les complots du Canada, équivalente à l’article 1 de la Loi américaine Sherman, prévoit une amende maximale de 25 millions de dollars et un emprisonnement maximal de 14 ans, ou l’une de ces peines. En considérant l’amende de 450 millions de dollars, infligée à la compagnie Apple, nous pouvons rapidement considérer les différences de pénalités attribuées au complot par la loi américaine.
Prix unique du livre numérique
En 2014, le Gouvernement du Québec a rejeté la proposition d’attribuer un prix unique aux livres, contrairement à ce que souhaitait l’ancien gouvernement de Pauline Marois, car en 2013, le ministre Maka Kotto avait présenté un projet de loi pour limiter à 10 % le rabais sur les nouveaux livres, autant imprimés que numériques. L’objectif principal était « la consolidation du réseau de librairies ainsi que la protection de l’identité et de la culture québécoise ». En France, depuis 1981, la Loi Lang permet aux éditeurs de fixer un prix unique sur leurs livres et permet aux vendeurs d’accorder une remise allant jusqu’à 5 % du prix de vente. Le 30 mars 2011, cette loi a été validée pour les livres numériques. En octobre 2013, l’Assemblée nationale a permis d’accorder un rabais de 5 % du prix de vente du livre, applicable sur les frais de livraison à domicile. Les sites de vente étrangers doivent aussi se plier à la législation française et ne peuvent afficher leurs prix moins chers. Cette loi permet donc d’éviter les risques de concurrence déloyale de la part des autres pays. Actuellement, le commerce électronique en France représente environ 20 % du marché du livre imprimé.
La préférence des consommateurs
Ce n’est pas nécessairement le concept du prix unique qui ouvre la porte à un plus grand marché pour les livres électroniques, mais bien le prix établi pour les livres en demande. En septembre 2015, un autre exemple a démontré cette réalité avec l’entreprise Amazon, après la signature d’une nouvelle entente avec d’importants éditeurs. Cette entente leur permettait de fixer leurs prix et éviter de trop grandes réductions sur leurs livres, mais ces éditeurs Lagardère SCA du groupe Hachette, Harper Collins de News Corp. et Simon & Schuster de CBS Corp. ont déclaré avoir constaté une baisse de revenus après ce changement. Il faut considérer que les livres électroniques des cinq plus grands éditeurs se vendaient en moyenne 10,81 $, alors que tous les autres publiés en 2015 avaient un prix moyen de 4,95 $, selon la compagnie Codex Groupe LCC, chercheur dans l’industrie. Selon M. Peter Hildick Smith, CEO de Codex, « les acheteurs s’attendent à payer un prix inférieur à 9 $ pour leur livre électronique Kindle et ils sont moins intéressés lorsque le livre leur est offert à plus de 10 $ ».
En conclusion
La distribution des livres électroniques a bouleversé l’industrie du livre et les principaux joueurs doivent s’adapter à ces changements économiques. Les éditeurs et les distributeurs doivent adopter un nouveau modèle d’affaires en considérant davantage la préférence de plusieurs lecteurs pour le livre en format numérique. Il faut considérer que la production et la distribution d’un livre électronique ont un coût marginal, par rapport au livre en papier, et sa rentabilité peut tout de même être très intéressante.